lundi 1 septembre 2008

TATA

Contexte : Moi et Louise dans un truck avec deux musulmans traditionnalistes à l'anglais cassé qui posent des questions.

"She is your wife?"

Il s'adresse exclusivement à moi et ignore complètement Louise qui est pourtant assise sur le grand coussin en tapis juste derrière lui. Ça me surprendrait même pas qu'il sente ses chaussures dans son dos.

"... Yes! She is my wife!"

Me voilà marié.
Regard de déception parce qu'à voir les posters de filles légèrement vêtues dans sa cabine, il avait une idée derrière la tête.
Regard de satisfaction qui s'enchaîne tout de suite après parce qu'il se rend compte qu'il n'est pas tombé sur un de ces occidentaux décadents après tout.

"How many years you married?"

"Hum... Three years...!?"

Regard de celui qui veut en savoir plus, avec les sourcils qui se posent des questions.

"Oh! And how many children?"

Si je dis oui, on est pas de bons parents d'avoir laissé le poupon à la maison. Si je dis non, je suis un infidèle qui ne respecte pas les rites sacrés du marriage.

"Euh... no children."

Regard d'étonnement avec gros yeux et tête qui s'envoie par en arrière.

"No children yet! No children yet! But soon!"

Perplexe, le barbu musulman arrange sa kurta et se retourne vers la route qui redevient sinueuse. Son collègue au volant a besoin de lui pour vérifier qu'au tournant des courbes, il n'y a personne. Suivant le signe de la main, le chauffeur pourra alors relâcher l'un des 10 boutons du klaxon musical, aux dix mélodies différentes, qu'il avait soigneusement choisi pour avertir les autres véhicules que son colosse se trouverait au détour de la montagne.

Nous sommes dans un TATA, ces camions qui sillonnent les routes pour transporter des marchandises pendant des longues journées (9 jours de Delhi à Srinagar pour le nôtre). Il y en a des tonnes là où le train de se rend pas, dans le tout nord de l'Inde.

Nous avons donc été pris en stop dans une de ces régions là, à l'embranchement des routes vers Lamayuru, Leh et Likir. Dans les quatre kilomètres qui séparent le village d'Alchi et son pont, à dos de moto, nous angoissions à l'idée de devoir attendre de longues heures sous le soleil tappant l'arrivée d'un autobus plus qu'incertain ou d'une âme charitable.

À notre arrivée, c'est comme s'ils nous attendaient, trois TATAS et deux jeeps se dirigent vers l'intersection. Craignant toujours que ce soit-là les derniers véhicules à passer avant un moment, je fais du pouce à l'indienne (la main qui ballote de haut en bas).
Le mastodonte d'acier répond à l'appel et s'arrête dans un crissement lourd et métallique.

Ni le chauffeur, ni son acolyte ne savent où se trouve Lamayuru. Ils nous font signe de monter quand même, ils s'en vont dans la bonne direction et c'est amplement suffisant. On trouvera comment plus tard.

Pendant que nous nous hissons dans la cabine capitonnée, une longue suite de véhicules, camions, jeeps et peut-être même des autobus entament une cacophonie stridante, suivi de nos quatre amis à motos qui veulent rigoler.
C'est comme ça que, sous une symphonie assourdissante de klaxons, la plus grande que j'aie jamais entendue, nous sommes montés à bord de notre premier TATA.


1 commentaire:

Anonyme a dit...

Génial comme article, je peux sentir le malaise.

Je les ratrappe tous lentement!