Sur la route de Khirganga, j'ai rencontré Mowgli.
Des cheveux bruns épars aux reflets cendrés.
La peau mate et foncée, aussi brune que ses cheveux.
Des haillons blancs en guise de sous vêtements, lui découvrant les fesses et de longues jambes en échasses.
Deux bracelets en racines autour du bras et de la cuisse.
Un pieu métallique dans la main droite, une minuscule besace sur l'épaule gauche.
Quelques couvertures en guise de bagages.
Il a dix-huit ans mais il en fait quinze. Il voyage avec son frère, plus vieux et barbu, recouvert de cendres, de draps oranges, un bâton à la main.
Ils sont saddhus, voyagent pieds nus, de lieu saint en lieu saint, en mendiant leur pitance et en fumant le charras.
Ils effectuaient eux aussi leur ascension vers Khriganga. Le plus vieux montait d'un pas lent et nous l'avons dépassé aisément. Le plus jeune montait littéralement en courant et en sautillant de roche en roche puis attendait son frère plus haut, accroupi sur une grosse pierre.
Nous l'avons observé à la hauteur d'un arbre saint, toujours accroupi sur une pierre, préparant le chillum (pipe), mélangeant le tabac avec le charras.
Il m'observe à son tour avec ce regard d'enfant sauvage derrière de grands yeux noirs.
Il m'affiche un énorme sourire et comme à chaque fois qu'il me dépasse sur le chemin ou que l'on se croise, il me répète les mêmes mots, incantations, bénédictions ou moqueries.
Son frère arrive enfin. De manière rituelle, il écarte les dizaines de tissus accrochés aux branches de l'arbre et fait sonner une cloche. Ils s'assoient tous deux côte-à-côte, regardent l'autre versant de la montagne, s'échangent quelques mots en gardant leur regard à la fois perçant et apaisé.
Le vieil homme se lève lentement, saisit le chillum, la tend à son jeune frère et l'allume par le haut en se dressant devant lui.
L'arbre sacré enveloppe les deux saddhus de ses branches tordues, l'homme debout devant le gamin qui, à gorge déployée, accroupi à ses pieds, inhale à pleins poumons la fumée de la combustion. La flamme intense de l'allumette brille encore entre les doigts du vieux saddhu alors qu'un nuage grisâtre flotte un moment entre les têtes des deux hommes. Il porte à son tour la pipe à ses lèvres, elle brille comme un charbon ardent à chaque inspiration. L'épaisse fumée s'échappe de sa bouche et de ses narines pour se perdre entre les broussailles qui nous entourent.
La cloche sonne encore une fois, c'est le vent.
Ils doivent vivre une expérience mystique particulièrement intense.
Ils restent là de longues minutes sans bouger ni parler avant que le jeune frère ne nettoie la pipe et ne la range dans sa petite besace.
Ils repartent ensuite, l'un à la course, l'autre à la marche. L'un avec son pieu, l'autre avec son bâton.
L'un choisira un endroit propice quelques minutes plus tard et l'autre recommencera le rituel.
3 commentaires:
C'est beau René.
Quand t'auras une chance, tu photographiera ce qui te sert de bureau, tel que quéri sur mon blog.
Ce Mowgli, il m'émeut, vraiment.
En vrai, il est particulièrement captivant!
J'aurais voulu prendre une photo mais ça n'aurait pas rendu le moment et je ne me sentais pas à l'aise de brandir mon objectif.
Je prends une photo de mon bureau ou de mon café internet dès que je débarque à Dharamsala (demain).
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