jeudi 11 septembre 2008

Puja matinale

Le réveil sonne les quatre heures du matin, la nuit est encore noire et dévorante. Tout pour décourager le lever. La main sur l'interrupteur ne conduit qu'à une vaine série de cliquetis : plus d'électricité. À tâtons pour retrouver la lampe frontale au pied du lit, on tombe surtout sur des morceaux de vêtements qu'on ramasse comme des pièces de casse-tête.

Chaudement habillés - le désert montagneux sans soleil se refroidit rapidement - nous sortons de la ghesthouse. Je porte mon éternel manteau d'hiver (on dit de lui que ça me donne des airs d'aventurier du début du siècle).
Nous sommes à l'entrée du village de Lamayuru, construit à flanc de montagne, avec pour seul éclairage le halo bleuté et blafard de ma lampe frontale. Nous entamons l'ascension du chemin principal en terre, recroisant les moulins à prières d'un autre âge, les deux énormes yaks qui évoquent des démons avec leurs cornes gigantesques, le point d'eau qui ressemble à une bouche de métro, le chien qui hurle seul à la porte d'une vieille maison ladakhie et les immenses stupas blanchies à la chaux pour arriver finalement au pied du monastère.
Il est presque cinq heures, nous mangeons des abricots sechés en marchant en guise de déjeuner et quelques moines s'agitent déjà dans le noir.

Désortientés dans le labyrinthe des pavillons surélevés, j'aborde deux ou trois ombres mouvantes au pied d'un escalier. Ce sont des enfants moines, ils semblent avoir peur de ma grosse voix derrière ma lampe qui les éblouit brutalement. Je couvre mon front pour ramener l'obscurité dans laquelle ils sont confortables, me fais rassurant et leur demande où trouver la salle principale.

"Follow me! Follow Me!", ils se rapprochent de nous.

Nous suivons leurs petits pas trépidants et sautillants dans les dédales du monastère pour aboutir sur les marches du bâtiment le plus haut. Le lourde porte en bois derrière nous est encore fermée, nous sommes assis à côté des trois enfants qui attendent comme nous leur première puja de la journée. La silhouette des montagnes commence à se dessiner à l'horizon, plus noire que le ciel déjà baigné de reflets bleus foncés.
Le temps s'arrête un long moment, les petits moines jacassent à nos côtés, la lumière (ou l'absence de) est magnifique, partout ailleurs, c'est le silence absolu.

La porte derrière nous s'ouvre enfin et un vieux moine, lampe solaire à la main, nous laisse pénétrer dans la cour intérieure.
Je me pose contre un mur. À ma droite, la voûte des lampions éternels jette sur la petite cour un éclairage à couper le souffle. Toujours l'obscurité aveuglante, mis à part quelques petites vagues dorées qui bougent au rythme du ballottement des flammes. Projetées contre les murs, elles éclairent les fresques sublimes, tantôt visages apaisants de buddhas, tantôt grimaces aux couleurs vives de démons.
La porte du monastère est entrouverte. Le vieux moine y est entré et s'y ballade avec la lampe solaire. La lumière blanche éclatante de la lampe traverse par à-coups la cour intérieure comme une flèche. La valse des moines, petits et grands qui affluent lentement et qui traversent cette symphonie lumineuse m'émerveille. J'ai l'impression de vivre un moment unique.

Le vieux moine sort enfin dans la cour et tend un morceau de bois au bout de ses mains, tourné vers l'entrée du monastère. Il frappe et le bois résonne dans le silence de la nuit. De longues trompettes tibétaines sur le toit submergent alors la vallée de leurs sons graves. Dans la petite cour intérieure on perçoit distinctivement les coups lourds sur le morceau de bois au milieu des vibrations presque organiques des trompettes.
Le vieux moine se tourne vers nous et frappe trois derniers coups.

Les moines se précipitent dans le monastère et s'assoient à leur place respective, généralement les plus âgés au centre et les plus jeunes en périphérie. Nous nous trouvons contre le mur est, devant nous sont assis des moines de six à douze ans environ.
Il fait toujours aussi noir, le monastère n'est éclairé que par la lampe solaire, posée au sol près de l'entrée.

Un enfant minuscule porte à bout de bras une théière énorme. Il se promène et sert du thé au beurre de yak aux moines qui ont tous leur propre tasse. Il nous sert finalement puis sort remplir la théière à nouveau.

Deux heures durant les moines vont réciter leurs mantras en s'arrêtant régulièrement pour faire sonner trompettes, tambours, cymbales et coquillages dans une cacophonie organisée.
Les enfants suivent quelques minutes puis s'arrêtent pour boire leur thé, errer dans leur imagination et jouer avec tout ce qui leur tombe sous la main. Personne ne leur reproche quoi que ce soit et rien ne semble troubler le déroulement général de la puja.
Les enfants sont cependant les premiers à préparer leurs instruments, généralement de gros coquillages vides dans lequels souffler, et rejoignent leurs ainés dans la pause musicale.

Adossé contre le mur, assis en position du lotus, j'observe longuement ce vieux moine, plus haut que les autres, qui récite ses mantras avec des mouvements de mains précis et gracieux. Je regarde cet autre qui prépare les offrandes sur un long plateau en bois avec une solennité toute rituelle. Je fixe mon attention sur le gamin à la théière qui passe devant moi à toute vitesse. Je bois quelques gorgées, c'est salé et j'ai les lèvres grasses. Je porte mon attention sur l'enfant qui vient de sculpter un petit démon dans sa boule de tsampa et qui en enfonce les cornes dans les oreilles de son voisin en riant. Mon regard dévie vers l'ado qui prépare hâtivement sa trompette. Je ferme les yeux, mon corps résonne dans les vibrations du tambour, mes oreilles bourdonnent sous le bruit strident des trompettes puis mes yeux s'ouvrent d'un coup avec le claquement des cymbales. La lumière du matin commence à pénétrer dans le monastère par les fenêtres à mes côtés. Les rayons naissants du soleil illuminent les visages des enfants devant moi. Je suis bien.

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Oh! Continua...continua, estou adorando e vivendo contigo este Puja matinal...que Maravilha!!!!!!
Te adoro! Estou contigo!
Maman

Anonyme a dit...

Bonjour René,

on dit que la beauté est tautologique, aussi je n'en dirai pas plus, j'aurais l'impression de commettre un sacrilège.

David.