lundi 22 septembre 2008

Apocalypse

Assis autour du tandoori, sur de longs et larges coussins, la pluie drue et inlassable en bruit de fond, nous rêvons, las et découragés. Blaguant tantôt sur les poissons qui flotteront de l'autre côté de la fenêtre, tantôt sur notre descente de la montagne à la nage en speedo. On demande au serveur si à tout hasard il a arrêté de pleuvoir, on imagine qu'il s'agit d'un déluge, qu'il faudra construire une arche où mettre les trente chiens, quarante vaches et douze chevaux de l'endroit.

Les visions apocalyptiques se sont avérées vraies. Après trois jours d'attente, nous avons décidé de partir quand même Khirganga, au milieu d'une pluie tout aussi forte et battante qu'au premier jour.

Les chemins parfois très étroits contournent les montagnes et descendent dans la vallée jusqu'aux villages où des routes carrossables peuvent nous ramener jusqu'à Kasol.
Mais après trois jours de pluie, la géographie d'une vallée et de ses montagnes change complètement. L'eau doit se déverser dans la rivière entraînant des glissements de terrains et éboulis qui détruisent ou qui bloquent les routes. La rivière elle-même, nourrie de toutes parts par des torrents et des chutes d'eau, se montre dévorante et débordante. Le ruissellement de l'eau transforme la terre en boue jusqu'à l'effondrement.

Nous n'avions pas réalisé le danger avant de partir, sachant que la route serait difficile mais pas que l'on y risquerait nos vies.

Je me suis enfoncé jusqu'aux genoux dans une mare de boue, cherchant quelque bûche ou pierre comme bouée, pour réaliser que j'étais au milieu d'un lac boueux, qu'il n'y avait plus rien de solide sous mes pieds et que tout était uniquement retenu par deux arbres pouvant céder à tout moment. Il me fallait rejoindre ce qu'il restait du chemin sans me soucier de rester à la surface ou de m'enliser davantage.

Je me suis immergé jusqu'au ventre dans l'eau glaciale d'un torrent dont le fond est caché par l'écume, cherchant à tâtons une pierre où poser mon pied, regardant deux cent mètres plus bas la chute se déverser dans la rivière déchaînée, pensant que perdre équilibre m'entraînerait assurément vers l'aucune chance de survie.

Deux autres torrents ont croisé notre route mais il n'était plus question de faire demi-tour.
Nous avons donc continué, alternant chemins éffondrés, passages boueux et chutes d'eau violentes.
Marchant parfois là où on se sent plus en sécurité avant d'entendre la montagne trembler, en voir des pans entiers s'écrouler, entraînant avec eux des sapins centenaires jusque dans la rivière.
Regarder derrière nous, étourdis par le bruit sourd de roches gigantesques qui dévalent la montagne pour s'effondrer sur le chemin que nous venons d'emprunter.
Sentir un peu que c'est la fin du monde, que tout s'affaisse, que tout se détruit et que l'omniprésent grondement des montagnes résonne comme un tremblement de terre perpétuel.

Décidémment, les treks ne me réussissent pas jusqu'à maintenant.


2 commentaires:

Anonyme a dit...

Mon pôvre enfant! sérieux, j'ai eu peur en lisant ton histoire.... you are a survivor!

gen a dit...

wow
wow
c'est super impressionnant!
je m'ennuie de travailler avec toi!
fais attention tout de même hein!